Discours - conférencier :M. Marcel Côté, associé fondateur, SECORTaux flottant ou union monétaire : un choix s'impose


Discours prononcé par M. Marcel Côté
Associé fondateur, SECOR

Le 13 avril 2000

Taux flottant ou union monétaire : Un choix s'impose

Le régime de taux de change est un des thèmes les plus débattus depuis cent cinquante ans par les économistes. Il est de nouveau au cœur de l'actualité dans un grand nombre de pays industrialisés, dont le Canada, un reflet de l'intégration accélérée des économies modernes.

En 1999, onze pays d'Europe ont réalisé une union monétaire. Un an plus tard, force est de constater que les onze sont très heureux de leur choix. La Grande Bretagne, par ailleurs, qui a opté de ne pas y participer, est pour le moins envieuse.

Au Canada, le débat fut lancé l'an dernier par Tom Courchene, qui soutient qu'une union monétaire nord-américaine était la meilleure voie pour le Canada dans la foulée de son intégration économique nord-sud et des pressions de la globalisation. John McCallum a été l'un des économistes qui lui a donné publiquement la réplique.

Pour bien débattre de la question, permettez moi au départ de fixer une règle épistémologique quant aux termes du débat.

L'alternative est la suivante. D'un côté, un régime de taux de change flottant, déterminé par l'offre et la demande du marché. La banque centrale n'intervient qu'exceptionnellement pour influencer le taux de change, et ne cherche pas à en fixer le cours. C'est le régime que connaît le Canada depuis 1968, et auparavant, de 1952 à 1960.

D'un autre côté, un mécanisme est mis en place pour fixer le taux de change du dollar canadien à une valeur d'étalon, le dollar américain. Si ce mécanisme est très robuste, on obtiendra une union monétaire de facto. Un mécanisme moins robuste, tel que nous l'avons connu de 1952 à 1960, pourrait amener des dévaluations soudaines, et des crises monétaires. Autant Pierre Fortin, Tom Courchene, Bill Harris et tout ceux qui ont défendu cette position, dont moi, favorisent un mécanisme très robuste, de type "currency board", ou même à la limite, une union monétaire réelle, c'est à dire, un dollar nord américain. Ne nous égarons pas aujourd'hui dans des débats secondaires, sur des régimes fragiles de taux fixes.

Au départ, je crois que tous les experts reconnaissent que ni l'un ni l'autre des régimes est parfait. Robert Mundell, le prix Nobel de cette année, a consacré sa vie professionnelle à explorer les conditions qui favoriseraient un type de régime plutôt qu'un autre. La question pour le Canada est la suivante : est-il préférable que le Canada ait sa propre zone monétaire, avec un dollar canadien flottant, ou qu'il se joigne à une zone monétaire nord-américaine, partagée avec les Etats-Unis.

Comment choisir entre l'un et l'autre.

L'avantage d'un taux de change flottant est relativement simple. Il constitue un tampon souple entre l'économie canadienne et l'économie externe, et en particulier, avec l'économie américaine, qui domine échanges externes. Cet amortisseur économique protège l'économie canadienne des chocs externes, et permet à la banque centrale de conduire un politique monétaire relativement autonome, adaptée aux besoins de l'économie canadienne. Avec un taux de change flottant, le gouvernement canadien peut prétendre avoir en main un instrument de stabilisation macro-économique, la politique monétaire, qui influe sur les taux d'intérêt à court terme, et indirectement sur le taux de change, et sur la demande globale.

En contre partie, un régime de taux de change flottant a trois grands défauts, et ils sont évident au Canada :

D'une part, notre taux de change, qui équilibre le marché des changes, diverge généralement de façon significative du taux qui lui donnerait une parité de pouvoir d'achat avec le dollar américain. Il est facile de démontrer que le dollar canadien est plus souvent qu'autrement sous-évalué ou surévalué, de plus de 10%. La parité du pouvoir d'achat commanderait depuis une quinzaine d'année un dollar autour de 80 ¢. Depuis quinze ans, le dollar canadien a été en deçà ou dessous de cette valeur 11 ans sur 15.

D'autre part, un taux de change flottant introduit une volatilité structurelle dans la structure de prix de l'économie, volatilité qui est ressentie autant par les entreprises que pour les consommateurs. Les exportations et les importations de biens et de services vers les États-Unis représente plus du tiers de notre réalité quotidienne. Or le prix de ce tiers est hautement volatile, à cause de notre taux de change flottant. Cette volatilité entraîne des coûts de transaction et d'information importantes pour l'économie canadienne.

Finalement, un taux de change flottant donne au gouvernement un instrument additionnel de stabilisation économique, la politique monétaire. Dépendant de l'habilité de la banque centrale à manier cet instrument puissant, cette autonomie peut être un atout ou un défaut. Au Canada, ce fut à quelques occasions, une calamité. J'y reviendrai.

Un taux fixe n'aurait évidemment pas ces défauts. Après une phase de stabilisation, notre monnaie aurait une valeur qui refléterait son pouvoir d'achat nord américain, et la structure de prix au sein de l'économie canadienne serait beaucoup plus stable. Par contre, le Canada sacrifierait toute velléité d'avoir une politique monétaire autonome.

Je laisserai à Pierre Fortin, l'un des experts canadien en matière de politique monétaire, le soin de présenter la perspective de l'économiste. Permettez-moi plutôt d'aborder la question d'une perspective de conseiller de dirigeants, autant de gouvernement que d'entreprise, qui souhaitent des politiques publiques qui optimisent les conditions économiques.

Comme je le mentionnais, il n'y a pas de régime de taux de change parfait. Il s'agit de choisir entre deux systèmes qui ont chacun leurs avantages et désavantages. Je pourrais argumenter qu'entre deux régimes imparfaits, le régime à taux flottant l'est beaucoup plus que ne pourra jamais l'être un régime à taux fixe. L'expérience canadienne démontre que par deux fois dans les derniers vingt ans, la politique monétaire canadienne, s'appuyant sur l'autonomie et la puissance que lui assure un taux de change flottant, a causé de profonds dommages à l'économie canadienne, sans pour autant nous donner à long terme une structure de prix plus stable que celle qui prévaut aux Etats-Unis. Le choix d'un régime de taux fixe s'impose parce que le régime de taux flottant nous offre peu sinon aucun avantage, et a permis des bêtises inacceptables en terme de politique économique au Canada.

En fait, la principale faiblesse du régime à taux de change flexible est qu'il donne beaucoup trop de pouvoir, et en corollaire de possibilité d'errer à la Banque du Canada. Il s'agit d'un régime qui nous expose aux frasques et erreurs idéologiques des gouverneurs de la Banque du Canada. Au début des années quatre-vingt, on a accusé le gouverneur de la Banque d'avoir été beaucoup trop accommodant, et d'avoir alimenté l'inflation des années quatre-vingt.

En 1988-91, l'économie canadienne subit les ardeurs idéologiques de John Crow, avec comme résultat, la pire récession depuis 1930, 50 milliards $ de dette de plus à Ottawa, une reprise très lente, et en bout de piste, la même chute de l'inflation que connurent les États-Unis, qui grâce à une politique monétaire beaucoup plus subtile et intelligente, s'en sont tirés avec une récession beaucoup plus faible. Par rapport au PIB américain, le PIB canadien passe de 9,2% en 1998 à 8,8% en 1992, une baisse de 5% en 4 ans, ce qui fait de la politique monétaire que subit le Canada de 1988 à 1991, la plus grande calamité économique à frapper le Canada depuis la grande récession des années trente.

Or, il s'agit d'une expérience qui pourrait revenir. En fait, si on demande aujourd'hui à John Crow s'il referait ce qu'il a fait, sa réponse, à quelques nuances près, est oui. Des John Crow, il en a eu dans le passé, et il y en aura dans le futur.

En nous liant au dollar américain, le numéraire de 80% de notre commerce international et de 90% de nos échanges de capitaux, on bénéficierait du système américain d'élaboration de la politique monétaire, un système beaucoup plus démocratique, où un idéologue ne peut avoir absolu, où les décisions sont prises à sept, avec représentation des régions et des divers courants idéologiques. La performance de la politique monétaire américaine depuis cinquante ans ne cède en rien à celle du Canada. Elle a peut-être erré, mais la nôtre a erré plus souvent. , et en fait autant dans les deux grandes périodes tests, 1980-1984 et 1988-1991, a été beaucoup plus performante que la politique canadienne.

La transition

John McCallum m'a mis au défi d'expliquer comment on pourrait réussir la transition du système actuel à un régime d'union monétaire de facto, un peu comme si cela serait difficile. Nous pouvons nous rabattre sur beaucoup d'expérience à cet effet, notamment en Amérique du Sud récemment, et dans les années soixante dix et quatre-vingt en Europe de l'Ouest. En fait, l'expérience de l'Europe de l'Ouest est probablement ce qui est le plus pertinent pour le Canada. Elle est caractérisée par une évolution graduelle, en plusieurs phases, sans crise, et sans perturbation.

La première phase serait transitoire, un débat public qui se terminerait par l'annonce formelle par le gouvernement du Canada de son intention de revenir à un régime de taux fixe. Comme cette annonce aurait été précédé d'un large débat public, la surprise ne serait pas grande. Pour certains, ce serait d'ailleurs sûrement une déception. Mais pour d'autres, le changement de politique serait un grand soulagement. L'impact d'un tel débat sur le cours du dollar canadien ne serait pas négligeable, et aurait comme conséquence, à mon avis, un renforcement de la valeur du dollar, les marchés anticipant que la fixation se fera à une valeur près de la parité du pouvoir d'achat, que l'on situe autour de 80¢.

Dans les semaines ou mois qui suivraient, une deuxième phase s'amorcerait, alors que la Banque du Canada annoncerait la bande de fluctuation acceptable du dollar canadien, par rapport au dollar américain, le premier signal concret du futur taux fixe d'échange. En somme, la Banque du Canada adopterait la politique du serpent poursuivie par les banques centrales européennes de 1980 à 1999. Cette annonce correspondrait à une transformation majeure du rôle de la Banque du Canada, qui cesserait de poursuivre une politique monétaire autonome. Dorénavant, ses interventions se limiteraient au maintien de la valeur du numéraire.

Au fil des ans, la Banque du Canada resserrera progressivement la bande de fluctuation, pour aboutir au bout de quelques années à une bande très étroite, moins d'un dixième de cents, qui sera en fait le taux de change permanent du dollars canadien.

Quel serait ce taux? Vraisemblablement, un taux donnant naissance à un ratio de conversion simple, tel 70¢, 75¢ ou 80¢. Si j'avais à choisir le plus probable, j'opterais pour 75¢, qui est légèrement inférieur à la parité du pouvoir d'achat du dollar canadien. Par contre, 80¢ pourrait s'avérer aussi juste, tout dépendant de la réaction des marchés à la décision de fixer le taux de change. Comme il est difficilement pensable que ce taux sera très inférieur à la parité du pouvoir d'achat, l'annonce aura inévitablement un effet haussier.

Une politique de taux de change fixe est souvent critiqué comme fondamentalement instable. Il faut doser cette affirmation. Dans des conditions analogues à celle du Canada, des pays comme l'Autriche et les Pays-Bas ont réussi à maintenir sans difficulté un taux fixe de leur monnaie avec celui de l'Allemagne, et ce pendant près de trente ans, avant de se joindre à l'Union monétaire européenne. Dans la mesure où il y a intégration économique, le maintien d'un taux fixe dans une bande étroite se fait relativement bien. Par ailleurs, la Banque centrale de Hong Kong, qui gère un taux de change fixe depuis plusieurs années, a surmonté avec succès les pressions de la crise asiatique de 1998, malgré la très grande diversification de ses échanges commerciaux.

La zone monétaire nord-américaine

Néanmoins, un cadre institutionnel plus formel serait souhaitable. Deux structures sont possibles : une union monétaire nord américaine ou un Currency Board. Dans le contexte d'aujourd'hui, il est difficile de concevoir pour le Canada, dans un contexte de taux de change fixe, une situation meilleure qu'une monnaie commune avec nos voisins du Sud. Mais il est peu probable que les Américains acquiesce d'emblée à cette suggestion, qui ferait de la Banque du Canada, le treizième membre du Federal Reserve System, et qui demanderait des amendements importants à diverses lois américaines, afin de tailler une place pour le Canada et maintenir la souveraineté du Canada sur son système financier.

Avant de conclure que ceci est impossible, rappelons nous ce qui vient de se passer en Europe, avec l'Union monétaire. Qui aurait pu croire que le Budensbank et la Banque de France puisse s'intégrer dans un tel cadre? Ni la France ni l'Allemagne n'a perdu son pouvoir souverain sur leurs systèmes financiers. Des solutions ont été trouvées. D'ici cinq ans, il est fort probable que des solutions pourront aussi être trouvé qui permettrons à la Grande Bretagne de s'intégrer à l'Union monétaire européenne, sans abdication de ses responsabilités sur son système financier.

Pour le Canada, une union monétaire nord-américaine impliquerait dire une place réservé sur le Federal Reserve Board, et une consultation obligatoire pour la nomination de son président. Par ailleurs, nous pourrions conserver des pièces et une monnaie de papier d'identité canadienne, après évidemment ajustement de leur valeur pour établir une parité de numéraire. Par ailleurs, la banque du Canada conserverait sa juridiction sur le système financier canadien, dans un cadre harmonisé à l'ensemble de la zone nord-américaine

À défaut d'une entente avec les Etats-Unis, qui pourrait se faire attendre, la position de repli est un Currency Board, c'est à dire la constitution d'un organisme indépendant qui contrôle la masse monétaire et assure la stabilité du dollar canadien en terme de dollar américain, en stérilisant tout mouvement de réserve entre le Canada et les Etats-Unis. Rappelons nous que plusieurs Currency Boards fonctionnent bien dans le monde, le plus expérimenté étant celui de Hong Kong.

Quelque soit la formule qui s'imposera en bout de piste, nous gagnerons une plus grande stabilité de notre environnement prix, et serions à l'abri des frasques monétaires d'une Banque du Canada qui cherche à conserver une rôle activiste dans un monde globalisé où elle n'a plus vraiment sa place.

 

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